Georges Lemarié
RENCONTRES VIGNERONNES
Georges Lemarié
Interview de Georges Lemarié du Château Aiguilloux,
Ancien chef de cuisine, Georges Lemarié s’est fait vigneron au Château Aiguilloux il y a 3 ans. Chronique d’un passage du solide au liquide… mais toujours sur la table !
Qu’est-ce qui vous a amené au métier de vigneron ?
Le domaine Aiguilloux est un domaine familial. Mes parents l’ont repris en 1982, et me l’ont transmis en 2016. J’avais 38 ans.
Que faisiez-vous avant de reprendre l’affaire ?
J’aimais la cuisine, donc j’ai fait des études de cuisine, des stages dans ce domaine, et travaillé chez de grands chefs en France avant de revenir dans le Sud pour ouvrir mon propre restaurant en 2006 - la Fleur de Thym, à Narbonne – que j’ai gardé pendant 10 ans.
Quel a été l’élément déclencheur de votre reconversion ?
En 2016, mes parents avaient atteint l’âge de la retraite. Alors j’ai vendu le restaurant pour assurer la relève. Nous venions déjà les aider avec mon épouse, surtout dans les moments intenses comme les vendanges.
Renoncer à la cuisine a dû être un choix difficile…
Nous n’y avons pas renoncé ! Au contraire, nous avons développé une offre de restauration sur le domaine, dans le cadre de l’œnotourisme. Nous disposons d’un parc dédié à la réception du public. On y sert des repas, uniquement en été.
Quels sont les vins du domaine Aiguilloux ?
Nous avons 4 cuvées – une de rosé et 3 de rouge, toutes faites avec des raisins vendangés manuellement.
Quelles sont les caractéristiques de votre rosé ?
Il est vinifié comme un vin blanc, en pressurage direct, avec débourbage à froid et macération pelliculaire. Il contient du Cinsault, du Grenache et de la Syrah. Nous le mettons en bouteille au mois de février de l’année qui suit la récolte. Il passe donc quelques mois en cuve, durant lesquels on procède à un batonnage sur lie fine pour améliorer la structure. Il s’agit davantage d’un rosé de table que d’apéritif : il est sec, ne contient pas de sucre, et typé comme un vin blanc, avec des arômes floraux et fruités de pêche, ananas, agrumes, etc. Nous le conseillons sur des poissons et crustacés, mais aussi avec de la cuisine exotique assez relevée (antillaise, indienne).
Et votre gamme de rouge ?
Elle se compose de 2 Corbières et un Corbières-Boutenac.
- Notre cuvée Aventure, un rouge composé de Carignan, Grenache, Syrah et Mourvèdre. On fait le Carignan et la Syrah en macération carbonique dans de vieilles cuves ciment. Les autres cépages sont égrappés et vinifiés séparément. L’élevage en cuve dure un an à un an et demi. C’est une cuvée fruitée, typée « petits fruits rouges », avec une belle matière, et des tanins présents mais fondus. J’aime les servir avec des grillades, ou certains poissons comme l’anguille, la daurade ou le sandre.
- Notre cuvée Les 3 Seigneurs est faite avec du Carignan de plus de 60 ans, associé à du Grenache et de la Syrah. Nous avons opté pour la macération carbonique, et un élevage en cuve d’un an suivi d’un passage en fût d’un an également.
D’où vient le nom « Les 3 Seigneurs » ?
Le domaine Aiguilloux est bordé par une colline. Et sur le cadastre, au pied de cette colline, figure une borne qui doit dater de l’époque des châteaux, nommée « la borne des 3 seigneurs ». On imagine qu’il y avait plusieurs seigneurs dans le coin… Mes parents ont donc choisi d’utiliser ce nom.
Et votre dernière cuvée de vin rouge ?
Il s’agit d’un cru Corbières-Boutenac, la cuvée Anne-Georges, faites avec des vignes de Carignan âgées de 80 ans, de la Syrah et du Grenache.
Quelles ont été les évolutions du domaine depuis que vous l’avez repris il y a 3 ans ?
Dans l’ensemble, nous continuons dans la même trame que ce que faisaient mes parents. Ce que l’on développe avec mon épouse, c’est la partie œnotourisme et restauration / accords mets et vins. Nous choisissons des week-ends précis, et recevons environ 30 personnes par repas.
Sur quels types de mets servez-vous les vins du domaine Aiguilloux ?
J’aime servir le rosé ou la cuvée Aventure en entrée. On fait des tapas à base de produits locaux comme les charcuteries de Marc Rivière, éleveur dans la petite montagne située derrière Fontfroide, ou les légumes des maraîchers du voisinage. Je réserve plutôt les cuvées des 3 seigneurs ou Anne-Georges pour le plat principal, qui peut être une pièce de bœuf, un poisson, une brochette de St-Jacques, etc. J’utilise aussi mes vins pour faire des sauces.
N’est-il pas dommage d’utiliser de si bons vins pour cuisiner ?
Au contraire ! Car pour faire une bonne sauce, il faut un bon vin. Si l’on achète du mauvais vin, la sauce ne sera pas belle ni consistante. Une sauce n’est pas un sous-produit ! Il s’agit d’un produit très noble pour la fabrication duquel, dans les grands restaurants, on n’utilise que de bons produits. C’est le secret d’une bonne sauce !
Et plus personnellement, quels sont vos accords mets et vins préférés ?
Je pense qu’il n’y a pas de meilleur accord que si vous faites une sauce avec le vin que vous servez à table ! Mais j’aime aussi le vin rouge sur le fromage, ou des plats en sauce, du gibier, etc. Nos vins, structurés et taniques, s’accordent très bien avec ces plats qui ont du goût, et besoin d’un vin ni trop plat ni trop léger. Nos vins accompagnent aussi très bien les cèpes, les champignons en général, et particulièrement la truffe. D’autant que dans nos vins, on retrouve ces arômes de sous-bois, truffe, chocolat, cacao… J’en profite pour signaler que nos vins se marient aussi très bien avec les desserts : crème brulée au chocolat, soufflé au chocolat, etc.
Qui est aux commandes du pilotage de la cave ?
Nous faisons cela en famille ! Nous savons à peu près ce que nous recherchons, et sommes conseillés par les œnologues Gilles Dejan et Julien Straub, du cabinet Oenologia, à Narbonne. Ce n’est pas un travail individuel ! Il faut que tout le monde déguste et donne son avis.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Nous allons créer une nouvelle cuvée en cru Corbières-Boutenac cette année, et une nouvelle cuvée Corbières l’an prochain.
Êtes-vous satisfait de votre changement de vie ?
Oui je suis satisfait car mon but, en me faisant vigneron, était que le domaine perdure. Mais cuisinier et vigneron sont des métiers différents… Il y a des moments plus simples que d’autres. En restauration aussi la météo a son importance, mais on ne risque pas de tout perdre en un quart d’heure ! Vigneron est donc un métier plus dangereux dans ce sens, mais tellement agréable par ailleurs… On est dehors, dans la nature, et on suit les saisons. Finalement, cuisinier et vigneron sont des métiers complémentaires : au final, le fruit du travail se retrouve sur la table !