Frédérique Olivie
RENCONTRES VIGNERONNES
Frédérique Olivie
Interview de Frédérique Olivie du Château Le Bouïs.
Depuis l’Ile de La Réunion jusqu’au littoral gruissannais, Frédérique Olivie a vécu mille vies... Aujourd’hui vigneronne au Château Le Bouïs, entourée de ses deux fils ainés, elle se démène – et avec succès - pour donner un second souffle à ce superbe domaine qui le mérite amplement.
Le métier de vigneronne était-il une vocation ?
Sans doute, mais une vocation tardive… Je ne suis vigneronne que depuis 2009. Avant cela, j’ai exercé plusieurs métiers, formé beaucoup de gens puis j’ai eu envie de laisser à mes enfants quelque chose de différent, et de retourner à la terre. Un de mes grands-pères était agriculteur et l’autre négociant en vin dans le Nord de la France. La vigne, c’est ma madeleine de Proust…Le Bouïs est aujourd’hui un domaine familial, je travaille avec deux de mes fils, c’est fabuleux.
A quand remontent les origines du château Le Bouïs ?
Le domaine était autrefois une métairie où l’on pratiquait la polyculture, appelée l’Œil de Pal. Vers 1750, la famille Bouïs s’y installe à la faveur d’un édit royal déclarant que quiconque dépierre et plante dans la Clape peut devenir propriétaire de la parcelle valorisée. Les Bouïs défrichent et plantent, entre autres cultures, de la vigne. Il faudra attendre le début du XIXème siècle pour que la polyculture cesse et que le château devienne véritablement un domaine viticole. La famille Bouïs s’étant éteinte faute d’héritier, le château est vendu et connaît plusieurs propriétaires successifs jusqu’à ce que j’en fasse moi-même l’acquisition en 2009. Sans bien le réaliser sur le coup, je me suis retrouvée à reprendre le flambeau d’une lignée de femmes vigneronnes…
Quelles sont ces femmes qui ont marqué l’histoire du domaine ?
Depuis le tout début, il y a toujours eu des femmes au Bouïs… Sur le blason du château, se distingue une chevalière. La légende raconte que cette dernière, arrivée d’Italie par voie maritime, se serait échouée dans l’embouchure du port de Narbonne, qui correspond aujourd’hui au village de Gruissan, aurait été sauvée par un pêcheur et se serait installée au Bouïs. Notre cuvée Arthur fait référence à cette histoire - Arthur était le nom du pêcheur. Par la suite, les femmes de la famille Bouïs ont aussi beaucoup œuvré pour développer le domaine. Une statue de Marie Bouïs trône dans Gruissan car c’est grâce à sa décision de financer les travaux pour faire descendre l’eau jusqu’au village que vers 1870, les Gruissannais ont finalement accès à l’eau. J’ai aussi retrouvé beaucoup d’écrits de Jeanne Bouïs, la dernière héritière de la famille. Vers 1945, elle vit entre Narbonne et son domaine de Gruissan, où elle passe beaucoup de temps avec ses cousines Hortense et Isabelle. Ensemble, elles pilotent le domaine et créent un ingénieux système d’irrigation.
Dans quel état avez-vous trouvé le domaine en 2009 ?
Il n’était pas en train bon état car aucun des propriétaires précédents n’avait réussi à faire aboutir son projet.
Qu’avez-vous fait pour le réhabiliter ?
J’ai replanté 12 hectares, refait les toitures et effectué énormément de travaux divers pour redonner vie à cet endroit. Aujourd’hui, nous avons 40 hectares de vignes entourées d’un grand parc d’arbres centenaires, le tout situé dans un bel espace naturel au sein de la Clape, labellisé Natura 2000. Avec vue sur la mer… Nous avons rouvert les chambres d’hôtes, repris le restaurant, et travaillons aujourd’hui avec le chef étoilé Jean-Marc Boyer. Depuis mon arrivée, mon but est d’ouvrir les portes, accueillir du monde et « faire rentrer de l’air frais » !
On peut dire que vous multipliez les occasions de recevoir du monde…
Divers événements culturels et festifs sont programmés durant l’année : un festival de musique classique en avril, l’été des Corbières en juin, un « summer day » sur le thème du rosé en juillet, des soirées autour de la gastronomie, des soirées musicales… Nous proposons aussi des chasses au trésor pour les enfants ainsi qu’un parcours de visite « La légende du Bouïs » qui relate la vie et le « génie » des femmes qui ont fait l’histoire du château.
Avec qui travaillez-vous aujourd’hui sur le domaine ?
C’est une aventure familiale car mes 2 fils aînés m’ont rejointe. Nous travaillons en famille, nous sommes très attachés à ce lieu magique.
Comment vous êtes-vous muée en vigneronne ?
J’étais novice en viticulture, à l’exception de quelques connaissances acquises grâce à mon grand-père. Il m’a fallu tout apprendre, écouter les conseils des uns et des autres… Cela a représenté un sacré challenge, et beaucoup de travail ! En fait, bien que j’ai racheté le domaine entier en 2009, j’avais déjà acheté 2,5 hectares du Bouïs en 2007. Pendant 2 ans, j’ai fabriqué du vin dans mon garage ! On faisait ça le week-end, avec un ami œnologue. J’y ai créé 2 cuvées - Roméo et Juliette - qui sont devenues nos 2 cuvées haut-de-gamme.
Comment avez-vous restructuré la gamme de vins à partir de 2009 ?
Plus que restructurée, nous l’avons totalement recréée. En 2009, j’ai rapatrié au château tout le matériel que j’avais dans mon garage. Puis il a fallu trouver une cohérence, travailler sur la qualité des vins et le choix des barriques, replanter de nouveaux cépages pour apporter de la complexité, etc.
Avez-un « chouchou » parmi les vins de votre gamme ?
J’ai un petit faible pour la cuvée R, un vin rouge issu d’un assemblage de Syrah, Grenache et Carignan, typique de l’encépagement du château et de l’appellation Corbières. On y retrouve de petits fruits rouges : mûre, cassis… Il s’agit d’un vin très gourmand, juteux avec de l’ampleur, du volume, et marqué par la garrigue. Un vin globalement très typé de notre région. Chaleureux, il vous enveloppe…
Peut-on parler d’un profil global des vins du Bouïs ?
En raison des entrées maritimes, on retrouve dans tous nos vins une importante salinité, et beaucoup de fraîcheur.
Où en êtes-vous sur le plan de la protection environnementale ?
Nous sommes déjà certifiés HVE3, et réfléchissons à la prochaine étape… mais dans le calme. J’ai commencé par apprendre un métier. Maintenant que les choses sont remises à niveau et que le contexte de travail est devenu agréable, nous nous interrogeons : bio, biodynamie ? Nous prenons notre temps car il n’existe pas de recette universelle. L’essentiel est que chaque domaine trouve le cadre adéquat pour s’exprimer, dans le souci de sa responsabilité sociétale et environnementale. Nous serons certifiés, ou ne le serons pas… Finalement ce qui importe est de faire les choses avec détermination et engagement.
Quels sont vos projets ?
Nous sommes en train de tout relooker en ce moment ! Nous agrandissons les espaces de réception, aménageons des terrasses et reconfigurons les abords du château pour pouvoir mieux jouir de la vue sur la mer.
Comment vivez-vous votre quotidien de vigneronne ?
Il faut énormément d’amour et de passion pour faire ce métier ! Je pense que c’est l’un des métiers qui requiert le plus d’engagement personnel. On le fait avec le cœur, et cela se retrouve dans le vin. Chaque vigneron écrit son histoire à l’aide de son vin. C’est pour cela qu’il est important de respecter le vin quand on le déguste, de bien « écouter » l’histoire que chaque cuvée raconte.