Thibaut de Braquilanges

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RENCONTRES VIGNERONNES

Thibaut de Braquilanges

Interview de Thibaut de Braquilanges du château de Lastours

Après un beau parcours international, Thibaut de Braquilanges, le nouveau directeur du château de Lastours, a décidé de poser ses valises dans sa région natale, non loin du château où il a grandi. Nouvelle gamme de vin, nouvelles étiquettes, nouvelles plantations, oenotourisme… Son énergie, au service de sa compétence, a déjà porté ses fruits et promet de belles années pour Lastours.

Comment vous êtes-vous retrouvé à la tête du Château de Lastours ?

Je suis né tout près de Lastours, à Narbonne. Mes grands-parents et mes parents étaient vignerons dans la Clape, au château Moujan. En ce sens, je suis un enfant du cru, mais j’ai voyagé avant de revenir me fixer dans ma patrie natale. J’ai notamment passé huit ans au Chili, où je travaillais pour le groupe Rothschild. Mon retour en France date d’il y a cinq ans seulement. C’est Gérard Bertrand qui m’a ramené dans notre belle région, en m’embauchant à l’Hospitalet. Je lui dois beaucoup, et notamment de m’avoir convaincu du potentiel exceptionnel de notre terroir.

 

Qu’avez-vous fait à l’Hospitalet pendant presque cinq ans ?

J’étais directeur export en charge du Duty-Free et Travel Retail.

 

Vous possédez donc une véritable expertise commerciale dans le vin ?

J’ai suivi des études commerciales dans le vin, à Toulouse puis à Paris. Après quelque temps passé aux États-Unis, j’ai créé une société avec un ami, dans le domaine du vin bien sûr. Cette expérience, peu rentable mais tellement enrichissante, a duré trois ans. Après quoi j’ai fait une incursion dans le monde du cidre à Paris, en travaillant à l’export. Et enfin je quittais la France, direction le Chili. Cela allait durer huit ans…

 

Toutes ces expériences doivent vous être fort utiles pour diriger le Château de Lastours…

Effectivement elles m’aident. Mais pour la première fois dans ma carrière, je suis en charge de toutes les activités d’un domaine : la commercialisation, mais aussi la partie viticole et des activités oenotouristiques, qui sont assez considérables à Lastours. Heureusement, je m’appuie sur l’expertise d’une équipe de vingt personnes qui maitrise son sujet !

 

Quelle est l’histoire du château ?

Elle remonte à la romanité de Narbonne. La tour (devenue plus tard les tours puis « Lastours ») surplombait la via Domitia et contrôlait le flux de commerçants qui l’empruntaient en les protégeant des attaques de pillards. Au XIIème siècle, ensuite, Lastours - - alors une tour d’avant-garde de la ville de Narbonne - est un lieu d’accueil réputé pour son air marin et son vent. Les gens venaient s’y reposer et se ressourcer. Pendant la période des Croisades, les croisés de retour, épuisés et blessés, faisaient halte ici pour se refaire une santé avant de regagner leurs pénates.

Plus récemment, Lastours était le lieu d’accueil du C.A.T de Narbonne depuis une trentaine d’années. Nous avons gardé cette tradition d’accueil et de réception chère aux yeux de notre propriétaire, la famille Allard, depuis le rachat en 2004.

 

Quelle(s) nouvelle(s) orientations avez-vous donné au domaine depuis votre arrivée ?

Je suis à ce poste depuis octobre 2019 seulement. Ces quelques mois m’ont permis de modifier légèrement le positionnement de notre gamme de vin, et surtout de replacer le vin au centre de la société. Cela n’a pas toujours été le cas, mais c’est vraiment ma philosophie aujourd’hui. Nous sommes producteurs de vin avant tout. Avec 90 hectares de vigne, 10 hectares d’oliviers et quelques ruches, le château est l’un des fleurons des Corbières.

 

Quelle était l’activité dominante de Lastours, en dehors de la viticulture ?

Nous entretenons depuis longtemps une importante activité d’œnotourisme, car nous aimons recevoir autour d’un bon verre de vin et d’un bon déjeuner dans notre restaurant, La Bergerie de Lastours (ouvert toute l’année). Notre Chef Jeremy Lefebvre y sert une cuisine vraiment exquise, de terroir en privilégiant les circuits courts, tandis que sa femme Héléna est en charge de la gestion des chambres d’hôte. Car le domaine comprend aussi un hôtel et 3 salles de séminaire. Une flotte de quads et de pickups est tenue à disposition de nos invités afin qu’ils puissent s’initier à la conduite et explorer le vignoble et les Corbières.

 

Que proposez-vous dans le domaine des sports mécaniques ?

Depuis la fin des années 90, Lastours a été un centre de prologue pour le Dakar. Nous sommes cotés dans le monde des sports mécaniques, et prisés par des écuries qui viennent tester leurs véhicules sur le domaine. Cela s’explique par le fait que nos conditions de terrain sont similaires à celles de l’Afrique. Les pistes sont très cassantes et accidentées, avec beaucoup de pierres. Et il y fait très chaud en été, ce qui met à mal les machines et fait le bonheur des ingénieurs.

 

Nous vendons la moitié de notre vin en France et l’autre à l’étranger.

Vous parliez de 90 hectares de vignes, mais le domaine tout autour des vignes doit être immense pour pouvoir accueillir de tels essais…

Effectivement, nous avons 1000 hectares de garrigue !

 

Revenons tout de même à notre affaire - le vin. Quelle est l’offre de Lastours ?

Nous venons de redessiner l’image de Lastours, et proposons désormais 3 gammes de vin.

  • La gamme Bergerie de Lastours, composée des 3 couleurs, vient tout juste d’être créée. Nous l’avons imaginée dans l’air du temps, très typée « garrigue et oliviers », avec une touche de fraîcheur et de féminité destinée à capter une clientèle jeune.
  • La gamme Château de Lastours, également disponible dans les 3 couleurs, a évolué vers le haut-de-gamme. Les cépages figurent désormais sur les étiquettes frontales – un détail qui a son importance, car nous vendons aujourd’hui 50% de notre vin à l’export, et avons à cet effet besoin que nos clients identifient immédiatement le type de cépages qu’ils vont déguster.
  • Enfin, vient notre Grande Réserve, le grand vin de Lastours.

 

Pouvez-vous nous dire un mot de l’encépagement du domaine ?

Nous cultivons principalement de la Syrah et du Grenache, mais possédons encore 30% de Carignan. Une partie de ces Carignan est âgée d’une quarantaine d’années, et nous en avons replanté pour que ce cépage vienne magnifier l’assemblage. Le Mourvèdre, qui est minoritaire, est destiné à notre Grande Réserve. C’est son épine dorsale.

 

Quelle est l’influence du terroir sur les vins ?

Nous avons un terroir assez exceptionnel, qui fait partie intégrante de ce que l’on appelle les « Corbières maritimes ». Des mouettes survolent nos vignes, non des corneilles. Parce qu’il est situé dans le prolongement de la mer, le domaine bénéficie d’une influence maritime assez marquée. La mer nous procure l’humidité nécessaire, et nous profitons aussi du vent du Nord. Je retrouve peu ou prou les conditions climatiques de la Clape de mon enfance (qui nous fait face, de l’autre côté des étangs !) ...

 

Comment décririez-vous les vins de Lastours ?

Je dirais que c’est par leur fraîcheur que les vins de Lastours se distinguent réellement. Nous essayons en effet de les faire le plus frais possible, avec un bon équilibre. On est sur du fruit élégant, et on ne « surboise » pas nos vins. Sur la gamme Château, les élevages en barriques oscillent entre 7 et 9 mois pour éviter une prise de bois trop importante. Dans cette idée, nous avons réinvesti depuis 2 ans dans des foudres. Car nous aimons le côté tanique qu’apporte le bois, mais pas le côté « boisé ». Nous recherchons des vins les plus vrais possibles.

 

Quels sont vos circuits de commercialisation ?

Nous vendons la moitié de notre vin en France et l’autre à l’étranger. En ce qui concerne l’export, 80% de notre volume est envoyé au Bénélux - nos meilleurs alliés – et en Allemagne, le reste aux États-Unis et en Chine. En ce qui concerne le marché français, je pense qu’il est très important. Il faut y être et ne pas le délaisser. En France, nous avions pris le parti de nous orienter vers le CHR. Donc cette année avec le Covid, cela va être compliqué… Nous espérons beaucoup du marché local pour cet été, et avons la chance d’avoir une boutique de dégustation sur place. Nous recevons de nombreux visiteurs, car le domaine se trouve sur une route assez passante, empruntée pour rejoindre Lagrasse ou Fontjoncouse. Pour attirer plus de public, une exposition de peinture est prévue cet été. Mais nous attendons les autorisations…

 

Où en êtes-vous dans vos démarches environnementales ?

Nous serons certifiés Bio, pour le vin et l’huile d’olive, en 2020. C’est une grande fierté !

 

Quels sont vos projets ?

J’aimerais augmenter notre production de vin blanc. Aujourd’hui, le rouge représente environ 80% de notre vin, le rosé 15% et le blanc seulement 5%. Nous avons beaucoup de demande et ne sommes malheureusement pas en capacité d’y répondre. Nous avons donc pour projet de planter 4 hectares en Grenache blanc.

 

Pourquoi avoir choisi ce cépage en particulier ?

A ce jour, nos blancs sont très originaux car composés d’un assemblage de Roussanne, cépage typiquement rhodanien et très aromatique, et de Vermentino, typiquement méditerranéen avec des notes plutôt citriques. Pour parfaire cet alliage déjà très intéressant, nous avons fait des tests en vrac sur le millésime 2019. Le but était de voir quels cépages pourraient complémenter au mieux nos cépages actuels, et c’est le Grenache blanc qui a présenté le meilleur résultat organoleptique. La plantation est prévue pour 2021. Puis il nous faudra attendre au moins trois ans avant de pouvoir récolter. On plante la vigne pour nos enfants…

 

Comment vous sentez-vous à Lastours depuis votre arrivée ?

Comme un poisson dans l’eau ! J’attendais avec impatience l’arrivée de l’été, car je suis arrivé pendant les vendanges. Puis pendant le confinement, on a eu 350 mm de pluie en 2 mois et demi… Enfin, je retrouve les Corbières et le Sud comme on les aime ! Et puis j’ai la chance de connaitre les gens d’ici, et de ne pas être considéré comme un étranger.

 

Le mot de la fin ?

Maintenant que le confinement est terminé, j’ai envie de partir sur tous les marchés avec ma pelle et ma pioche ! Grâce à une trésorerie saine et une société équilibrée, nous avons pu maintenir l’activité de tout le monde. Mais maintenant, il faut que l’activité reprenne rapidement !