Vincent Dubernet
RENCONTRES VIGNERONNES
Vincent Dubernet
Interview de Vincent Dubernet du Château Fontarèche.
Ingénieur en Agriculture et œnologue, Vincent Dubernet est aujourd’hui vigneron au Château Fontarèche. Portrait d’un expert passionné qui porte haut les couleurs des Corbières aux quatre coins du monde.
Dubernet est un nom connu dans les Corbières. Avez-vous un lien de parenté avec les laboratoires œnologiques éponymes ?
Oui, c’est mon grand-père qui a fondé le laboratoire d’œnologie en 1974, très vite rejoint par mon père Marc DUBERNET. Aujourd’hui, c’est mon frère Matthieu qui a repris le flambeau. Pour ma part, j’y ai travaillé pendant 2 ans à la sortie de mes études à Toulouse. Durant cette période, j’ai notamment participé au développement d’outils d’analyse et effectué à cet effet d’assez nombreux déplacements en Amérique latine, pour utiliser la contre saison.
Pourquoi n’y êtes-vous pas resté ?
Déjà, j’avais au fond de moi la conviction que j’avais envie de gérer un domaine. Après ces 2 années passées aux laboratoires, j’ai passé 2 ans à travailler dans l’ingénierie vinicole, à construire des caves et des chais, puis je suis finalement entré à l’Abbaye de Fontfroide, car la gestion de domaine était devenue pour moi une évidence. Pendant 6 ans, j’ai développé le domaine aux côtés de M. d’Andoque, aussi bien sur la partie viticole que la partie massif.
Puis fin 2008, j’ai eu la chance d’être appelé, ici à Fontarèche, à un poste de direction qui touchait à toutes les parties du métier et sur une échelle plus grande, ouvrant notamment les portes de l’export.
Pouvez-vous nous dire un mot de l’histoire de Fontarèche ?
Le domaine appartenait à l’archevêché de Narbonne depuis l’an 850. C’était un domaine de polyculture élevage, comme en attestent certains artefacts qui subsistent, comme les abreuvoirs et les chaines aux murs pour attacher les chevaux, certainement avec de la vigne dès le début. Le château Fontarèche a été acheté en 1682 par Pierre Mignard, l’ancêtre des propriétaires. Depuis, il est toujours resté aux mains de la même famille - la famille de Lamy. La vigne a toujours été présente, avec un développement majeur au XXème siècle, pendant les années après-guerre.
Quels sont selon vous les atouts du domaine ?
Le domaine, situé près de Narbonne, possède de l’eau et des beaux sols de graves relativement plats (fait rare en Corbières), un parcellaire complètement attaché, et bénéficie du volant thermique de la mer très précieux lors des canicules estivales.
Quel est votre poste aujourd’hui ?
Je suis gérant directeur depuis 2008. Position de responsabilité tout azimut. Avec une confiance galvanisante de la famille propriétaire.
Comment avez-vous structuré votre équipe ?
Je suis entouré de 7 personnes pour gérer 140 hectares, assurer une production annuelle de 8 000 hectolitres, et réaliser la mise en marché d’environ 700 000 cols. Nous avons 2 personnes à la cave (dont une chef de cave œnologue qui nous apporte ses précieuses connaissances et sa grande expérience), 3 tractoristes polyvalents (dont un chef de culture ici depuis 25 ans !), 2 personnes au bureau qui s’occupent de toute l’administration des ventes et de la gestion financière… et moi-même.
Notre équipe vigne est 100% portugaise. Elle amène une connaissance profonde des enjeux de la viticulture méditerranéenne, et de ses contraintes spécifiques.
Quelle est la production Corbières du domaine ?
75 hectares sont plantés en AOC, le reste en IGP Oc. Un ratio que l’on retrouve au niveau de notre production : environ 2 500 hectolitres de Corbières rouge produits chaque année, 300 hectolitres de Corbières blanc et 800 hectolitres de Corbières rosé.
Quelles ont été les principales inflexions stratégiques depuis votre arrivée en 2008 ?
Nous avons développé la vente en bouteilles, focalisé sur l’export en Europe du Nord, avec un positionnement prix très réfléchi nous offrant une place sûre sur les marchés.
En rouge, nous avons dû mener un lourd travail au vignoble pour amener plus de vignes sur nos hautes cuvées en Corbières. Il fallait faire face à la hausse des volumes, sans baisser le niveau qualitatif, bien au contraire.
En blanc et rosé, nous avons créé une « spécialisation » par le levier de l’encépagement et des modes de vinification.
Où en est la vente en bouteilles ?
Nous vendons aujourd’hui environ 700 000 bouteilles par an, contre environ 100 000 en 2008. Nous avons choisi une stratégie export, à laquelle je me suis dédié. Nous nous sommes concentrés sur l’Europe du Nord - essentiellement la Belgique, l’Angleterre et le Danemark, qui représentent 80% de l’export.
Vers quels autres pays exportez-vous ?
Nous exportons également vers l’Irlande, l’Ukraine, l’Amérique Latine (Brésil et Mexique), les États-Unis, le Japon, la Chine, l’Australie ou encore la Nouvelle Zélande.
Quel travail avez-vous effectué sur les vins rouges ?
Sur les rouges, nous avons mis en place un travail pour rajeunir nos millésimes. On commercialisait auparavant des millésimes n-2 et n-3.
Désormais, les rouges non élevés sont mis en marché dès les mois de mars/avril. Le but de cette démarche est d’offrir une belle brillance aromatique et un tanin bien croquant. Des profils moins austères, en somme.
Sur les blancs et les rosés, qu’avez-vous changé ?
Nous nous sommes spécialisés à travers l’achat de 2 pressoirs à cage fermée, qui nous permettent des remplissages moins poussés et une meilleure gestion de la récolte. Ceci amène un meilleur égouttage et l’obtention de moûts très propres. Sur les rosés, nous réalisons de vraies macérations pelliculaires qui font l’identité de nos vins.
Nous avons augmenté nos volumes de blanc pour asseoir des marchés sur lesquels nous étions déjà engagés, comme la Belgique. Notre savoir-faire sur ce plan a été reconnu assez tôt. D’ailleurs chez certains clients, ce sont ces blancs qui ont ouvert la voie aux rouges, puis aux rosés.
Quid de votre positionnement prix ?
Il a été décidé dès le départ, et maintenu. Dans les marchés mûrs comme dans le Nord de l’Europe, il n’y a pas d’inflation réellement possible sur le prix des vins : quand vous avez installé des vins avec une marque, son prix est très difficilement modifiable. C’est le cas de notre cuvée Pierre Mignard, par exemple, qui vaut 8 euros sur la table. Inutile de faire valoir des médailles ou du succès à l’international pour gonfler le prix, au risque de perdre nos positions sur ces marchés qui ont une énorme valeur de stabilité. Cette stratégie prix est assez lourde à porter car nous sommes entre 5,50 et 8 euros - prix consommateur - ce qui nous donne des prix départ compris entre 2,40 et 3 euros (hors haut de gamme).
Ces tarifs nous assurent des positions fortes qui n’ont pas besoin d’être nourries ni dopées par de la communication à outrance.
Votre gamme Corbières a-t-elle subi des modifications depuis 2008 ?
Quand je suis arrivé, l’objectif n’était pas de faire table rase du passé.
Nous avons conservé les gammes installées (et bien nées) en 2006 par mon prédécesseur : cuvée Pierre Mignard, cuvée 1182, cuvée Vieilles Vignes et cuvée Tradition pour les rouges, une cuvée Vieilles Vignes blanc, et une cuvée rosé Tradition.
Cette gamme offre des profils variés et des prix rapprochés, dans la bonne tranche export, pour que l’alternative soit facile.
Nous avons dernièrement réalisé un léger « lifting » de la gamme, mené par la même agence qui avait créé les habillages il y a 14 ans.
Comment répartissez-vous votre temps de travail ?
Je dirais que je passe 80% de mon temps sur l’activité vente et logistique.
Passez-vous beaucoup de temps en déplacement ?
En dépit du fait que 95% des bouteilles sont vendues à l’export, je me déplace assez peu. Je participe principalement à des portes ouvertes en Belgique, et je me rends de temps à autre en Amérique Latine et en Chine car ce sont des marchés sur lesquels j’ai beaucoup investi et où la présence du vigneron est clé.
J’ai une connexion particulière avec le Brésil où j’ai réalisé mon stage d’ingénieur en 1998.
Il s’agissait de définir les premières bases d’une appellation viticole, aujourd’hui en place (et pionnière pour la viticulture Sud Amérique).
Je me retrouve aujourd’hui à retourner sur cette même zone avec une casquette de producteur. Ma démarche prend un sens particulier et mon plaisir est décuplé.
Lors de vos déplacements, quels sont vos arguments de vente ?
Sur mes déplacements, je ne fais rien d’autre que raconter ce que je fais avec un maximum de transparence et de précision. Nos importateurs ont une très haute maîtrise technique. Ils perçoivent très rapidement « l’épaisseur » technique du discours. Tout ce que je recherche est l’instauration d’un climat de confiance. Cela se passe dès la première réunion, lors des premiers échanges.
Comment commercialisez-vous les 5% restants de vos bouteilles ?
Ils sont commercialisés en France. Je suis associé pour cela avec 2 autres vignerons du Minervois et du Roussillon. Nous avons une commerciale en commun, dont la mission est de nous placer chez les grossistes, sans limitation de zone.
Quelles mesures prenez-vous pour préserver l’environnement ?
Depuis 3 ans, nous cultivons 25 hectares AOC en « 0 herbicide », notamment dans le cadre de mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). De fait notre besoin en tractoristes grandit. Nous envisageons de faire passer la totalité de l’exploitation en « 0 herbicide » d’ici 4 ou 5 ans. Cela va dans le bon sens. Je suis d’accord avec la disparition des herbicides de longue rémanence, mais plus circonspect sur le retrait pourtant inéluctable des herbicides de contact qui constituent aujourd’hui pour les jeunes vignes une solution qui n’a pas de remplacement réel.
Quelle est l’image des Corbières à l’étranger ?
Les gens nous connaissent, et nous ne sommes pas lestés par le souvenir de vins ayant pu être d’un niveau qualitatif pas suffisamment élevé par le passé. Les gens retiennent le nom de l’appellation, et le fait qu’elle est située en Languedoc, dans une région placée au centre de l’histoire de la vigne et du vin d’un point de vue mondial. Je dis et je répète qu’avec l’appellation Corbières, nous avons vraiment une carte à jouer, dans les marchés mûrs comme dans les plus récents. On a cette chance : on nous connaît, notre nom a une résonnance et j’en suis content. Le duo Fontarèche et Corbières fonctionne et constitue mon fer de lance. L’un nourrit l’autre. Fontarèche n’a pas vocation à vivre seul, et a besoin de Corbières pour asseoir son origine. Ce couple m’est utile dans la façon de classer Fontarèche dans des portefeuilles de vin chez des importateurs à l’autre bout du monde. Je continuerai dans cette voie !