Martine Pagès
RENCONTRES VIGNERONNES
Martine Pagès
Interview de Martine Pagès, vigneronne au Domaine La Bouysse, à St-André de Roquelongue.
Héritage familial, le Domaine de La Bouysse est aujourd'hui géré par la 4ème génération, bientôt rejoint par le 5ème ! Pour elle, le bio est l'avenir. Ainsi, la totalité de la production a été accréditée bio en 2013. Après avoir étudié et travailler pendant 10 ans en Alsace, Martine succomba finalement à l'appel du Sud et ramena dans ses bagages un savoir-faire particulier ainsi que des recettes maison !
Qu’est-ce qui vous a amené à exercer le métier de vigneronne ?
Martine Pagès : Le vin est notre héritage familial. Je ne suis pas la seule à avoir attrapé le virus : mon petit frère Christophe et moi sommes associés. Nous sommes la 4ème génération d’une famille de vignerons, et la 5ème arrive : ma fille ainée, salariée depuis 2 ans, est sur le point d’être intégrée dans la société de production tandis que la seconde termine ses études en vins et spiritueux.
Comment vous répartissez-vous le travail ?
M.P. : Mon frère travaille dans les vignes tandis que je m’occupe de la commercialisation et surtout de l’aspect œnologique.
Frère et sœur ont donc dignement « repris le flambeau » …
M.P. : Oui, mais en modifiant un certain nombre d’aspects ! Nos ancêtres travaillaient en cave coopérative tandis que nous avons créé une cave particulière. Quand mon frère et moi avons repris l’exploitation de ma mère, en 1998, les vignes étaient dans un état pitoyable. Nous avons donc acheté des vignes hors de la cave coopérative, et ouvert notre cave particulière la même année pour y vendre le vin issu de ces nouvelles parcelles.
Quid de vos anciennes vignes ?
M.P. : Nous les avons progressivement remises en état pour finalement, en 2007, leur faire quitter la cave coopérative et rejoindre notre cave particulière.
C’est aussi en 2007 que vous avez arrêté de recourir aux engrais chimiques. Quelle a été votre motivation ?
M.P. : Mon frère Christophe, œnologue, possède aussi une licence de chimie. Il savait donc très bien l’effet que ces matières actives qui passaient dans les vignes produisaient sur le vin… Puis c’est d’un commun accord que nous avons décidé qu’il était temps d’évoluer vers des techniques d’exploitation plus saines.
Quelle est votre vision du bio ?
M.P. : Pour moi, le bio, c’est l’avenir ! Mais attention, je ne parle pas du « bio fou furieux » qui ne permet pas toujours la rentabilité de l’exploitation… Au Domaine La Bouysse, par exemple, nous sommes 8. Mieux vaut donc que l’entreprise tourne !
Comment avez-vous procédé pour passer au bio ?
M.P. : Nous avons laissé les terres se reposer quelques années avant d’entamer la reconversion bio en 2010. Et c’est en 2013 que l’intégralité de la production a été accréditée bio.
Diriez-vous que produire bio est moins rentable ?
M.P. : Oui et non… Oui car les coûts de production sont supérieurs, de l’ordre de 20 à 25% en plus – un surcoût que nous intégrons dans les prix de vente. Mais d’autre part, dans la mesure où notre technique d’exploitation nous permet d’avoir des vignes en excellent état, nous obtenons d’excellents rendements.
Le bio permettrait-il donc de meilleurs rendements ?
M.P. : Sans aucun doute. Nous avons comparé les années « normales » en traditionnel et en bio, et nos rendements sont meilleurs depuis que nous avons opéré la reconversion en bio! Sauf en 2016 et 2017 bien sûr, à cause des incidents climatiques, mais tous les vignerons ont été logés à la même enseigne.
En termes de commercialisation, cela vous a-t-il facilité la tâche ?
M.P. : Passer au bio nous a ouvert beaucoup de portes en France. Par exemple, nous sommes désormais distribués dans des chaines de magasins bio, dont les Biocoop.
Quelle est la part de l’export dans la commercialisation des vins du domaine ?
M.P. : Cette part s’élève à 40% export, principalement à destination de l’Europe (Belgique, Hollande, Allemagne, Suisse, Danemark et Grande Bretagne) et de l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada).
Avez-vous suivi une formation particulière ou appris de vos parents ?
M.P. : J’ai étudié à Dijon et travaillé pendant 10 ans en tant qu’œnologue conseil en Alsace. Puis j’ai cédé à l’appel du Sud, d’autant plus volontiers que Maman arrivait à la retraite.
Avez-vous retiré de vos années alsaciennes un savoir-faire particulier ?
M.P. : Je dois avouer que je possède quelques recettes maison… Forcément, je suis assez spécialisée sur les blancs et les rosés. D’ailleurs aujourd’hui, ces 2 couleurs représentent la moitié du volume produit par notre domaine.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces fameuses recettes maison ?
M.P. : Nous maintenons par exemple les jus de raisin blanc et rosé en stabulations à très basse température - environ 4 degrés - pendant 5 jours, afin d’en extraire un maximum d’arômes. Et en ce qui concerne les vendanges, nous ramassons avant la maturité du raisin afin d’obtenir une bonne acidité, et à la main aussi bien pour les blancs que pour les rosés.
Et quelles sont les particularités de vos rouges ?
M.P. : Le grenache et la syrah sont égrappés, tandis que le mourvèdre et le carignan sont mis en macération carbonique. Notre grand-père a eu l’intelligence de ne pas arracher les vieux Carignan durant la vague d’arrachage des années 70 et 80. Ainsi, les plus jeunes du domaine sont âgés de 60 ans, et les plus vieux de 110 ans !
Vous avez deux terroirs – Boutenac et Fontfroide. Cela entraine-t-il des différences dans votre fabrication des vins ?
M.P. : Cela implique effectivement des différences, principalement en raison de la diversité des climats. Sur Boutenac, nous n’avons pas de syrah, car je considère qu’il fait trop chaud, tandis que ce cépage me semble bien adapté au terroir gréseux, donc froid, de Fontfroide.
D’autre part, nous faisons du bi cépage pour nos rouges Corbières, et différents sur chaque terroir.
Comment définiriez-vous vos vins ?
M.P. : Mes vins me ressemblent : ils sont assez féminins. Pour les blancs et les rosés, mon credo est l’aromatique et la vivacité - probablement une déformation héritée de mon expérience en Alsace.
Au sujet de la féminité de vos vins justement… Le fait que vous soyez une femme vous a-t-il déjà gêné dans l’exercice de votre métier ?
M.P. : J’ai obtenu mon diplôme d’œnologue il y a 31 ans. A l’époque, nous étions 5 femmes pour 80 hommes. Et laissez-moi vous dire qu’en 1987, le milieu du vin était hyper macho… encore plus que de nos jours !
Etre une femme peut-il être un atout dans ce métier historiquement trusté par les hommes ?
M.P. : Je pense - sans a priori, c’est un constat - qu’une femme, au niveau dégustation sensorielle, est plus performante qu’un homme car elle ressent plus de choses que lui. Car nous ne sommes pas tout à fait constitués de la même manière. D’ailleurs ici, les décisions sont souvent prises par des femmes ! Nous sommes dans l’air du temps, avec un ratio de parité homme-femme légèrement en notre faveur.